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Le passing : mon reflet, mon défi, mon mirage ?

I. Le passing, c’est quoi ?

Le passing, c’est ce moment où une personne trans est perçue spontanément comme appartenant à son genre affirmé, sans être « démasquée » ou « genrée à l’envers ».
Pour une femme trans, c’est être vue comme une femme cis, au premier regard, sans discussion, sans malaise.
Dit comme ça, ça a l’air simple. Mais c’est en réalité une pression immense, omniprésente, et parfois violente.

Pourquoi ? Parce que ne pas « passer », c’est s’exposer :

  • aux regards insistants,
  • aux « monsieur » qui tranchent comme des lames,
  • aux micro-agressions,
  • à la peur d’être humiliée ou mise en danger.

Et pourtant, le passing n’est pas un objectif universel, ni un gage de valeur personnelle. C’est un mécanisme de survie, au croisement de la perception sociale, de l’apparence et de la sécurité.

II. La transition : les grandes étapes

Avant même de parler de passing, il faut rappeler que la transition passe souvent par plusieurs phases — pas toujours linéaires, ni dans le même ordre pour tout le monde. Voici les grandes étapes les plus fréquentes :

  1. La prise de conscience / le questionnement
    Ce moment souvent flou, intime, où quelque chose commence à s’éclairer… ou à s’imposer.
  2. Les recherches, les lectures, les témoignages
    Comprendre ce qu’on ressent. Mettre des mots. Lire, écouter, apprendre, comparer.
  3. Les premiers rendez-vous psy
    Une étape importante, parfois obligatoire, qui peut à la fois soulager et faire peur.
  4. Les rendez-vous médicaux à répétition
    Endocrino, généraliste, analyses sanguines, planning hormonal, parfois soins spécialisés… C’est un vrai parcours du combattant, souvent long, chronophage, et émotionnellement lourd.
  5. Les premiers ajustements esthétiques
    Changer ses cheveux, ses vêtements, son maquillage, ses habitudes… sans forcément tout bouleverser. Apprendre à s’apprivoiser.
  6. Le début du THS (Traitement Hormonal Substitutif)
    Un tournant physique et symbolique. Il demande un suivi médical précis, une écoute de soi, et beaucoup de patience.
  7. Les démarches administratives
    Prénom, genre à l’état civil, cartes, documents officiels… parfois simple, parfois kafkaïen.
  8. Le travail sur la voix, la posture, la gestuelle
    Pour celles et ceux qui le souhaitent : orthophonie, danse, yoga, chant… chaque corps a son langage.
  9. Éventuellement, la chirurgie
    Pas systématique. Pas obligatoire. Mais pour certain·es, c’est un aboutissement.
  10. L’ancrage social : “vivre en tant que”
    Être reconnue pour ce que l’on est, dans tous les contextes de la vie : au travail, en famille, dans la rue. C’est là que le passing devient un enjeu central… mais pas le seul.

Personnellement, je suis au tout début médicalement parlant, mais déjà bien avancée sur d’autres plans. Je dirais que je suis à l’étape 6… et demi !

Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais pour en arriver là, il a fallu des années de souffrances muettes, de fuite, de camouflage, de doutes, de travail sur soi.

III. Le passing : une obsession légitime ?

Je vais être honnête : comme beaucoup de femmes trans, le passing est mon plus grand cauchemar.

Pas parce que je veux plaire à tout prix. Pas parce que je veux me cacher. Mais parce que c’est la condition pour vivre tranquille. Pour qu’on me laisse simplement être.
Je débute à peine la THS, et je n’ai aucune idée réelle de ce à quoi je ressemblerai dans 6, 12 ou 18 mois. J’ai bien quelques repères, quelques espoirs, mais rien de certain.
Je sais que mes traits masculins vont s’atténuer, que des traits plus doux vont apparaître, mais dans quelle mesure ? À quelle vitesse ? À quel prix ?

Il y a des jours où je me regarde dans le miroir et je me dis : « C’est en bonne voie. Tu vas y arriver. »
Et puis il y a ces autres jours, où tout semble flou, où je me demande si je suis simplement en train de me tromper de rêve.
Des jours où le simple fait de sortir de chez moi avec un petit bracelet au poignet me donne le cœur qui bat plus vite.

Je n’essaie pas de devenir quelqu’un d’autre. J’essaie juste de redevenir moi, de laisser enfin apparaître celle que j’ai toujours été, malgré les filtres, les attentes, les normes.
Mais ce “moi” là, il doit convaincre le monde. Il doit être assez crédible pour survivre dans un monde qui scrute, qui juge, qui corrige d’un “monsieur”.

Et surtout : est-ce que ce sera suffisant ?
Suffisant pour être vue ? Suffisant pour être crue ? Pour être tranquille ?

IV. Quand on devient experte en camouflage

Il y a eu une époque où je fuyais les miroirs. Je préférais ignorer que voir ce qui me blessait.
Aujourd’hui, c’est tout l’inverse : j’y passe des heures, à corriger un pli, une poche sous les yeux, une imperfection que sans doute moi seule remarque.
Et pourtant, parfois, un compliment sincère sur un détail change tout.
Il y a ces gens qui vous voient sans vraiment vous voir, distraits ou indifférents, et d’autres, plus rares, qui, d’un mot, d’un regard, vous ramènent à vous-même, comme une bouffée d’air frais.

Mais le plus difficile, ce sont les personnes qui vous ont toujours connue comme un homme.
Un ancien collègue qui hésite sur le pronom, une vieille amie d’enfance qui trébuche sur mon prénom, un regard qui cherche encore l’ancien reflet dans mon visage…
Là où un inconnu acceptera sans hésiter la femme que je suis en train de devenir, ces visages familiers voient d’abord ce qu’ils croient savoir, ce qu’ils ont toujours connu.

Et ça, c’est une blessure invisible, mais profonde, difficile à contourner.
Ça laisse un goût amer, un rappel constant que malgré tous mes efforts, je dois continuer à me battre, non seulement contre les regards extérieurs, mais aussi contre les souvenirs gravés dans le cœur des autres.

V. Le détail qui trahit

Le passing, ce n’est jamais 100 %. Il suffit d’un mot, d’un geste, d’un son de voix, pour que quelqu’un doute, bascule, vous genre mal.

Et souvent, ce n’est même pas votre apparence :

  • c’est votre voix,
  • votre manière de marcher,
  • votre gestuelle,
  • votre façon de vous asseoir,
  • le ton de vos mails…

Les domaines à « travailler » sont infinis. Et bien sûr, aucun manuel n’existe.

Alors on explore.

Moi, j’ai choisi :

  • Le yoga et le pilates pour ma posture,
  • La danse classique pour la gestuelle,
  • L’observation, le mimétisme, la patience,
  • Et surtout une féminité douce, naturelle, loin des caricatures.

Je ne me vois pas en perruque XXL, robe fluo et talons à paillettes. Je ne juge pas celles qui choisissent ce style. Mais ce n’est pas moi.
Moi, c’est la montre discrète, le petit bracelet, le tatouage caché sous la manche, le maquillage léger, et surtout : être bien dans ce que je porte.

VI. Des femmes trans connues, et leur rapport au passing

Même des figures publiques comme Elliot Page, Julia Serano, Océan, ou en France Andréa Furet, Bilal Hassani, ont parlé de cette pression constante liée au regard extérieur.
Comme le dit si bien Andréa Furet, une actrice et modèle que j’admire beaucoup :
« Être une femme trans, c’est vivre sous la loupe. Mais une loupe qui ne grossit pas toujours ce qu’il faut. »

Et en parlant d’Andréa Furet, je suis persuadée que vous la connaissez peut-être sans connaître son nom…
Elle est devenue la première candidate transgenre à concourir au prestigieux concours Miss France.
Elle a terminé à la deuxième place, devenant ainsi première dauphine — un parcours remarquable dont je vous parlerai plus en détail dans un article entier en cours de rédaction.

Ces parcours illustrent à quel point le rapport au passing est différent selon chacune.
Certaines réussissent à passer « parfaitement » aux yeux du monde, mais restent meurtries à l’intérieur. D’autres assument une visibilité brute, militante.
Chacune choisit sa voie.

VII. Le message que je retiens

On ne choisit pas notre corps de départ.
On ne choisit pas toujours ce que les hormones corrigeront, ou non.
Mais on choisit notre rapport à nous-même.
Et moi, j’ai choisi la voie douce. La voie où je reste fidèle à qui je suis, sans me perdre dans la peur de ne pas « passer ».

Le passing est un outil, pas une finalité. Un bouclier, parfois, mais pas une valeur.
C’est une phase, un enjeu, un défi. Mais ce n’est pas une identité.

Conclusion : Et si on regardait autrement ?

Le passing ne devrait pas être un critère de valeur. Ni pour celles et ceux qui le recherchent, ni pour celles et ceux qui observent.
Ce n’est pas un déguisement. Ce n’est pas un mensonge. Ce n’est pas un caprice.

C’est, très souvent, un mécanisme de protection. Une manière d’être tranquille. Une manière d’avoir la paix.

Dans une société où tout passe par l’apparence, où un simple « bonjour monsieur » peut fissurer une journée entière, le passing devient une sorte de contrat implicite : « Je fais tout pour vous rassurer, pour que vous ne doutiez pas, pour que vous me laissiez vivre. »

Mais est-ce qu’on pourrait envisager autre chose ?

Est-ce qu’on pourrait imaginer un monde où le doute ne fait pas peur, où le respect ne dépend pas de la silhouette, où la bienveillance ne demande pas de preuves ?

Réfléchissez-y et dites moi ce que vous en pensez en commentaire.

— Enola 😘

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