« Il est elle » : la transidentité en prime time, et alors ?
Introduction
En 2021, TF1 et la RTBF coproduisent Il est elle, un téléfilm en deux volets réalisé par Clément Michel, dont le scénario s’inspire librement de la bande dessinée Barricades de Charlotte Bousquet et Jaypee. Il est diffusé initialement le 19 novembre 2020 en Belgique sur la RTBF, avant d’arriver en France le 1er novembre 2021 sur TF1, après une première diffusion en avant‑première sur Salto le 12 octobre 2021.
Sélectionné au Festival de Luchon en mars 2021, le téléfilm y remporte deux distinctions prestigieuses : le Prix d’interprétation féminine pour Andréa Furet et le Prix du meilleur scénario pour Catherine Ramberg et Thomas Boullé.
Avec un casting alliant justesse et engagement, porté par l’actrice trans Andréa Furet dans le rôle de Julien/Emma, entourée notamment d’Odile Vuillemin et Jonathan Zaccaï, Il est elle aborde la transidentité à travers le prisme de l’adolescence et des dynamiques familiales.
Diffusé en prime time, le téléfilm a rassemblé plus de 3 millions de téléspectateurs en France, atteignant 15,6 % de parts de marché, malgré une audience jugée « modeste » pour TF1. Mais au‑delà des chiffres, c’est son impact émotionnel et sociétal qui marque : certains critiques saluent une fiction « audacieuse et essentielle », tandis que le public se déclare ému et touché, interprétant cette œuvre comme un miroir pour ceux qui ne rentrent pas dans les cases imposées à la naissance.
Synopsis
Il est elle raconte l’histoire de Julien, un adolescent de 15 ans qui grandit dans une famille aimante, mais ordinaire, avec ses zones d’ombre, ses attentes, et ses maladresses. Julien n’a jamais vraiment réussi à mettre de mots sur ce qu’il ressent. Ce n’est pas de la rébellion. Ce n’est pas un caprice. Ce n’est pas non plus une phase. C’est une certitude enfouie, fragile, mais tenace : il n’est pas un garçon.
Au fil des jours, des douleurs muettes, des regards dans le miroir qui ne collent pas, des scènes du quotidien et de petits instants de vérité, Julien prend conscience de ce qu’il est profondément. Et un jour, il le dit : il est elle.
Commence alors un chemin semé d’embûches. Sa mère, d’abord sidérée, vacille entre instinct protecteur et incompréhension. Son père, lui, réagit plus violemment, figé dans des normes viriles qu’il croit inébranlables. Le lycée devient un lieu de tension, de moqueries, de violence parfois, mais aussi un espace où émergent quelques signes de solidarité : un psy à l’écoute, des camarades qui osent briser l’effet de groupe, et, plus tard, une forme de reconnaissance silencieuse chez sa sœur — bien que celle-ci, d’abord en retrait, réagisse elle aussi avec rejet et sarcasme, comme beaucoup d’adolescents confrontés à ce qu’ils ne comprennent pas.
Le téléfilm ne tombe jamais dans le pathos, préférant montrer la justesse des émotions, la complexité des réactions, et l’importance du parcours identitaire chez les jeunes trans. Il évite les caricatures et choisit la nuance : chaque personnage évolue, vacille, change, parfois maladroitement, parfois avec grandeur.
Il est elle est plus qu’un coming out. C’est une métamorphose intérieure. Un combat pour exister au grand jour. Une ode discrète mais puissante à l’acceptation de soi — et à l’amour, quand il prend le temps d’écouter.
Le casting
Il est elle repose sur un casting solide et sensible, porté par des acteurs capables d’incarner des émotions à vif sans tomber dans le mélodrame. Mais c’est surtout un choix rare — et salutaire — qui donne toute sa justesse au projet : le rôle principal de Julien/Emma est confié à une actrice trans, Andréa Furet. À seulement 19 ans lors du tournage, elle impressionne par son naturel, sa précision, et sa capacité à traduire l’indicible avec pudeur.
Ce choix de casting est tout sauf anodin. À une époque où les rôles de personnes trans sont encore trop souvent attribués à des acteurs cisgenres, confier ce personnage à une personne concernée change tout : dans le regard, dans la posture, dans la voix même. Le vécu trans n’est plus joué, il est ressenti. Et cela se voit.
Autour d’elle, Odile Vuillemin (dans le rôle de la mère) et Jonathan Zaccaï (le père) livrent des performances justes, oscillant entre maladresse, amour, colère, et doute. Elsa Lunghini, Catherine Jacob ou encore Frédéric Pellegeay viennent compléter cette galerie de personnages, chacun à leur manière confrontés à leurs propres limites face à la différence.
Le film est aussi une première médiatique pour Andréa Furet, qui jusque-là était inconnue du grand public. Une révélation, au sens fort du terme.
Qui est Andréa Furet ?
Née le 11 juin 2002, Andréa Furet grandit en France dans un environnement où la sensibilité artistique est présente, connaît ses premières apparitions à l’écran dès l’enfance – notamment dans La Vallée des mensonges (2013) et Tom au pays du Père Noël (2015). C’est à l’adolescence, autour de ses 14–15 ans, qu’elle ressent un profond décalage entre son genre assigné à la naissance et son identité réelle.

En juin 2019, elle fait officiellement son coming‑out auprès de sa famille, avec le soutien de sa mère, de son père, et de ses deux frères. Soutenue, elle entame sa transition, initiant les bloqueurs de puberté à 18 ans, ce qui contribue à aligner son corps à son identité.
Parallèlement, elle poursuit sa passion pour la scène – théâtre et comédie musicale – et décroche son bac en candidat libre pour mieux concilier ses soins, sa santé et ses études. Son parcours se poursuit avec des rôles dans Alex Hugo, La Faute à Rousseau, et Chair tendre, mais tout bascule en 2021 lorsqu’elle est choisie pour incarner Julien/Emma dans Il est elle, rôle pour lequel elle est récompensée par le Prix d’interprétation féminine au Festival de Luchon.
Andréa explicite ce rôle comme un rôle d’actrice, non pas seulement de femme trans : elle a été sélectionnée pour ses compétences, non seulement pour son identité. Elle a également contribué à améliorer le script en suggérant des corrections de vocabulaire pour rendre la représentation plus juste et respectueuse .
Aujourd’hui, la jeune comédienne revendique sa place comme actrice avant tout, refusant que son identité définisse la totalité de ses rôles : elle aspire à jouer des personnages cisgenres et élargir son horizon artistique.
Citations d’Andréa Furet
1. Sur son métier
Lorsqu’elle dit à Elle qu’elle est avant tout comédienne :
« Le scénario n’est pas un copier‑coller de mon histoire… mais si on peut aider un jeune à s’assumer… on aura réussi »
Cette citation témoigne de son engagement professionnel, nuancé et profond : elle est actrice, avec la volonté de faire entendre d’autres voix.
2. Sur la normalité d’être soi
Dans L’Est Républicain, elle affirme :
« Il n’y a rien d’anormal à être soi »
Cette réplique simple et forte est un mantra que l’on retrouve dans son discours.
3. Sur l’impact de sa performance auprès des spectateurs
Dans un article de Terrafemina, elle confie :
« Ce téléfilm peut aider des enfants trans qui se cherchent encore et peut aider des parents… »
Une citation touchante qui traduit son espoir de voir la fiction ouvrir des portes et des dialogues.
Miss France, la première candidate trans
En juin 2022, Andréa Furet devient la première femme trans à participer à l’un des concours régionaux menant à Miss France. Élection après élection, elle évite la victoire mais frappe les esprits : première dauphine de Miss Paris le 19 juin 2022, elle se qualifie ensuite pour Miss Île‑de‑France. Elle déclare, émue : « Être première dauphine, c’est fou… Ça prouve que les gens sont prêts pour le changement, pour l’inclusivité et le vivre‑ensemble ».
Très vite, certaines rumeurs circulent sur une prétendue frustration de ne pas avoir remporté le titre. Mais Andréa dément avec calme et dignité. Elle se dit fière de son parcours, heureuse d’avoir pu représenter une image différente de la féminité, et touchée par les retours positifs de jeunes personnes trans qui se sont reconnues en elle.
Elle ajoute qu’au-delà de la couronne, ce qui compte pour elle, c’est d’avoir marqué les esprits et ouvert une porte pour d’autres. Son message est clair : « Je ne voulais pas seulement gagner, je voulais exister au même titre que toutes les autres femmes sur ce podium. »
Il n’existe aucun témoignage crédible ou citation d’Andréa indiquant qu’elle était « frustrée » de ne pas avoir gagné. Au contraire, elle célèbre le fait d’avoir ouvert une brèche, d’avoir donné une visibilité historique à une femme trans dans ce concours longtemps excluant.
Critiques
Le téléfilm Il est elle a globalement séduit la critique et le public pour son ton sincère et sa mise en scène réfléchie, tout en suscitant quelques réserves :
- Plébiscite critique : TF1 Info le présente comme « une fiction audacieuse et essentielle sur la transidentité » qui parvient à émouvoir tout en instruisant. De son côté, L’Est Républicain et Allociné louent son scénario juste et son interprétation maîtrisée, tandis que PureMédias note que le film « débride les dialogues entre générations » et permet d’aborder un sujet sensible.
- Accolades du public : Sur les réseaux sociaux, les internautes s’enthousiasment. Un tweet résume bien l’avis général : « Ce genre de téléfilm, c’est plus que nécessaire »
Le HuffPost note que le film a suscité des milliers de réactions sur Twitter, salué pour avoir été diffusé en prime time. - Des progrès ciblés : Têtu salue la démarche éducative : le smartphone de l’héroïne incluant une YouTubeuse trans ou les passages pédagogiques sur les bloqueurs sont jugés « intelligents et sensibles ». Le Point note que la chaîne sort de sa zone de confort en traitant frontalement la transidentité, même si certains dialogues parentaux sonnent parfois un peu théâtralement.
- Quelques critiques : Madmoizelle pointe un titre un peu simpliste (« Il est elle ») et des clichés persistants autour des réactions parentales. Un utilisateur de SensCritique, issu de la communauté trans, rappelle que bien que le film ne soit pas parfait, il constitue une première fiction sérieuse et respectueuse.
Les controverses médiatiques
Lors de la diffusion du téléfilm, Cyril Hanouna et son émission Touche Pas à Mon Poste (TPMP) n’ont pas manqué de réagir — et tout ne s’est pas fait dans la nuance. Plusieurs intervenant·es ont exprimé des positions abruptes :
Une invitée s’est insurgée :
« C’est un scandale de diffuser ça à 21 h sur TF1 ! Et les enfants ? »
Ce type de réaction n’est pas rare dans l’émission, fréquemment épinglée par le régulateur Arcom pour des débordements, propos discriminants ou traitement inapproprié de sujets sensibles.
— en toute logique :
- À 21h, la majorité des petits enfants dorment.
- Pour les adolescent·es, ce genre de fiction pourrait bien être salvatrice : elle offre des repères, des mots, et peut prévenir des années de souffrance.
- Enfin, si certains parents sont choqués, c’est aussi à eux de réguler ce que leurs enfants regardent. Dans ce cas, l’invitée véhiculait malgré elle une idéologie hésitante, presque complotiste, sur l’exposition des enfants à des sujets LGBTQ+, et on peut craindre qu’elle transmette ce malaise à ses propres enfants.
En résumé, plus qu’un simple débat télévisé, cette controverse met en lumière un clivage culturel : entre celles et ceux qui redoutent cette visibilité à la télévision et celles·ceux qui y voient une avancée nécessaire. Et pour beaucoup, le message est clair : les chaînes ont une responsabilité citoyenne — mais ce sont les parents qui portent la responsabilité éducative.
Presse
La presse spécialisée a largement salué Il est elle pour sa justesse émotionnelle et son traitement sensible de la transidentité :
- RTBF Actus décrypte le film comme une fiction « émouvante » présentant « la transidentité chez les mineurs d’âge » avec douceur et sincérité.
- France Bleu met en avant la performance marquante d’Andréa Furet, soulignant un « pari réussi » : porter sur le petit écran, en prime time, un sujet aussi délicat.
- Terrafemina insiste sur l’impact du téléfilm, interprété comme une « réussite qui émeut » et génère un dialogue chez les téléspectateurs.
- Le HuffPost et Ma-Grande-Taille.com saluent la capacité du récit à toucher un public large, tout en restituant fidèlement les thèmes de la scarification, du harcèlement et de la reprise de parole intime.
Les scènes marquantes
Voici les passages du film qui m’ont le plus touchée, classés selon l’ordre où je les ai découverts — un ordre qui résonne profondément avec mon propre chemin :
- Le harcèlement dans les vestiaires
Un moment brutal, hélas très réaliste. J’y ai revu mon adolescence, ce sentiment d’exclusion et cette violence qui marque à vie. Là où les autres se changent sans gêne, toi tu caches ton corps, tu t’effaces, tu pries pour devenir invisible. Tu ne sais plus si tu as honte de toi, ou peur des autres. Peut-être les deux. Les vestiaires deviennent un champ de bataille silencieux, chaque regard une menace, chaque rire une agression. Et on en sort toujours abîmé·e — même quand on n’a rien dit, même quand on a « fait semblant que ça allait ». - La scarification
Ce n’est pas juste « se faire mal ». C’est ce qu’on fait quand on ne sait plus comment évacuer ce qu’on ressent. Quand on se déteste tellement qu’on préfère avoir mal physiquement que d’endurer ce qu’on a dans la tête. Quand on sent qu’on explose de l’intérieur, mais qu’on ne peut en parler à personne. Ce geste-là, c’est un appel à l’aide muet. Et il faut l’entendre avant qu’il ne soit trop tard. Je l’ai vécu. Je ne le souhaite à personne. Mais il faut que vous compreniez que ça existe. Que ça arrive. Et que ce n’est jamais « pour faire genre ». - La musique comme exutoire
Julien trouve refuge dans sa guitare. Moi, c’est mes randonnées, mes photos, la forêt, le face-à-face avec moi‑même. - L’incompréhension des proches
Leur amour n’est parfois pas suffisant. Ils veulent aider, mais ne savent pas comment… et cela fait mal. - La scène chez le psy
Littéralement le même dialogue que j’ai eu avec ma psy. Le médecin explique que Julien a la chance d’avoir accès à des bloqueurs de puberté, contrairement à d’autres — ces femmes qui, comme moi, n’y ont pas eu droit et en porteront les traces toute leur vie. La voix, le corps, les os… tout ce que la testostérone marque, parfois à jamais. Et cette phrase, dite calmement, sans pathos, m’a percutée comme un électrochoc : il y a des blessures qu’un simple « c’est pas grave » ne répare pas. - La confrontation sur la scarification
Lors d’une séance, le psy interroge Julien sur ses gestes d’automutilation. « Tu as trouvé où cette idée ? »
Julien répond, les yeux baissés : « Sur un forum. Un forum sur les jeunes comme moi. »
Il creuse. « Les jeunes comme toi ? »
Julien répond alors ce que tant d’entre nous ont ressenti sans toujours pouvoir le dire :
« On nous a assigné le mauvais genre à la naissance. »
Puis, après une pause, la vérité tombe, nue, fragile et bouleversante :
« Je suis née dans le mauvais corps. J’ai besoin qu’on m’aide… à être une fille. » - Expression de la dysphorie
« Je suis née dans le mauvais corps. » Cette phrase dérange. Elle choque parfois. Mais pour celles et ceux qui la prononcent, elle n’est pas une métaphore. Elle dit exactement ce qu’elle veut dire. Imagine que chaque fois que tu te regardes dans le miroir, ce que tu vois te paraît étranger. Pas laid. Pas imparfait. Juste… pas toi. Imagine qu’on t’appelle « monsieur » alors que tu es une femme. Qu’on t’impose une voix grave, une pilosité, un torse plat, des vêtements « d’homme ». Et que tout ça, on te le colle dessus à 13 ans, sans que tu aies le moindre mot à dire. Tu cries que ce n’est pas toi, et on te répond que tu fais une crise d’adolescence. C’est ça, la dysphorie. Ce n’est pas « être mal dans sa peau », ce n’est pas « manquer de confiance ». C’est vivre dans une dissonance permanente entre ce que tu ressens et ce que le monde voit, t’impose, et renforce à chaque instant. C’est comme être enfermé·e dans un costume qui colle à la peau — sauf que ce costume, c’est ton propre corps. Et tu ne peux pas l’enlever. Ce n’est pas une idée qu’on nous a soufflée. C’est une réalité qu’on endure. Et c’est pour ça qu’on a besoin d’aide. Pour que notre apparence reflète enfin ce qu’on est — pas ce qu’on nous a assigné à la naissance. - Le refus du père
Entre incompréhension et rejet, il incarne l’obstacle principal, illustrant la difficulté de certains parents à accepter la transition de leur enfant. - L’affirmation identitaire
Julien se perçoit désormais comme une fille — simple et bouleversant : « Je préfère mourir que d’être un garçon ». - L’urgence de la situation
Le film met en lumière la mutilation, parfois prélude à une tentative de suicide, soulignant l’urgence d’un soutien médical et psychologique immédiat.
🔍 Vérification statistique
- Une étude indique que 82 % des personnes trans ont envisagé le suicide, 40 % ont tenté, et que le risque est plus élevé chez les jeunes.
- Les études montrent clairement que l’accès à des bloqueurs de puberté est associé à une réduction significative de l’idéal suicidaire.
🧬 Points clés médicaux & sociaux
- Les bloqueurs offrent un temps précieux, permettant de mieux se connaître avant les transformations irréversibles de la puberté — un procédé adopté aux Pays-Bas dès les années 1990, en France depuis une dizaine d’années uniquement, et surtout au sein de la médecine spécialisée.
- En France, les hormones sont accessibles vers 16 ans avec accord parental, ou 18 ans sans — un encadrement strict et parfois source d’attente longue.
- C’est durant la puberté que le malaise corporel s’amplifie, menaçant la santé mentale, la confiance et parfois la vie des jeunes trans.
- Arriver à temps, c’est éviter le maquillage forcé, le laser, l’opération de la pomme d’Adam, etc. Toutes ces étapes sont rendues possibles — et plus sûres — lorsque la transition commence tôt.
- L’émotion forte du film prend corps dans ces détails : la délivrance médicale, le choix du prénom (Emma), le premier jour au lycée habillée comme elle l’est — autant de moments de victoire sur une invisibilité douloureuse.
Les répliques fortes
- « T’es pas pd ? »
— « Non. Parce que je suis pas un mec. Je suis une fille, OK ? »
Cette phrase illustre la confusion souvent présente dans l’esprit des proches, qui mélangent identité de genre et orientation sexuelle, et la fermeté d’Emma qui revendique son identité. - « C’est pas drôle. »
— « Je sais. »
— « C’est impossible. Tu ne peux pas être ça. Jamais. »
Ce court échange révèle la douleur du rejet, le choc de l’incompréhension, et la négation du droit à l’existence.
Anecdotes du tournage
Le tournage de Il est elle n’a pas été qu’une simple succession de prises de vue : certaines scènes, notamment celles dépeignant le harcèlement et la détresse adolescente, ont demandé une préparation émotionnelle particulièrement intense.
Pour garantir une représentation juste et respectueuse, l’équipe de production a travaillé en étroite collaboration avec des associations LGBTQ+ et des experts en santé mentale. Ce choix a permis d’éviter tout sensationnalisme ou caricature, et de créer un espace de confiance pour les comédien·nes, particulièrement pour Andréa Furet, qui portait un poids personnel fort dans son interprétation.
Cet engagement éthique et humain a été salué par les spectateurs et les critiques, contribuant à la sincérité et à la force émotionnelle du téléfilm.
Réflexions personnelles
Dans Touche Pas à Mon Poste, une intervenante trans affirme que l’on sait qu’on est trans dès 4 ou 5 ans. Peut-être, pour certain·es. Pour moi, ce fut un peu plus tard, à 7 ans, en deuxième primaire. Je venais de déménager, et je me sentais déjà différente — comme une étrangère dans mon propre corps, un peu perdue dans un monde qui ne me ressemblait pas.
À l’adolescence, entre 13 et 14 ans, le mal-être a pris toute la place. Ce n’était plus seulement une sensation diffuse, c’était une douleur profonde, un déchirement intérieur. C’est à ce moment-là que l’alcool est arrivé, un faux ami. Il m’a accompagnée pendant plus de 30 ans, une échappatoire toxique face à la souffrance et au silence. Pendant toutes ces années, j’ai fui la réalité, cherché à noyer mes tourments dans l’oubli.
Aujourd’hui, à presque 52 ans, le chemin est différent. Je suis sobre, ou presque. J’ai repris ma vie en main, pas sans luttes ni rechutes, mais avec une détermination nouvelle. J’ai perdu 15 kilos — chaque gramme perdu est une victoire contre la douleur ancienne, un pas vers une meilleure harmonie avec mon corps. Je commence à l’apprivoiser, à l’écouter, parfois même à l’aimer.
Je me regarde à nouveau dans le miroir, et ce reflet, qui m’a longtemps fait peur, devient peu à peu une amie. Ce n’est pas encore la paix totale, mais c’est un commencement. Ce processus, lent et fragile, est celui de la réconciliation avec soi-même — avec ses blessures, ses forces, sa vérité.
Cette reconstruction, je la partage avec l’histoire d’Emma, de Julien, d’Andréa. Ce sont des récits qui donnent de l’espoir, qui montrent que malgré les années perdues, il est toujours possible de renaître.
Où voir le film ?
Le téléfilm Il est elle est disponible en replay sur TF1+ pour une durée limitée. Certaines plateformes de streaming belge ou françaises peuvent également le proposer.
Conclusion
À vous qui lisez ces lignes — cisgenres ou pas — je veux dire une chose claire : Il est elle n’est pas un simple téléfilm sur les personnes trans. C’est une histoire humaine, universelle, sur l’acceptation, la transformation, la lutte pour exister sans masque ni excuse.
Je vous invite à regarder au-delà des cases que la société aime imposer. Ce film, c’est un miroir tendu à nos peurs, à nos automatismes, à nos jugements parfois aveugles. Il nous montre que derrière chaque histoire de transition, il y a une personne qui cherche juste à être elle-même.
Non, ce n’est pas une maladie. Non, ce n’est pas un caprice d’esprit. Ce n’est pas quelque chose à « soigner ». C’est une identité à apprivoiser, à comprendre, à respecter. Comme on apprend à s’aimer quand on a été trop longtemps en guerre avec soi-même.
Je vous le dis parce que c’est ma vérité :
« Être soi, ce n’est pas se battre contre son corps, c’est se réconcilier avec lui. »
« Le genre n’est pas une prison, c’est un jardin qu’on cultive à sa façon. »
« Le courage, ce n’est pas d’être parfait·e, c’est d’être vrai·e, même quand c’est dur. »
Alors oui, ce chemin est long. Oui, c’est parfois douloureux. Mais il est possible. Et il est beau.
Si vous êtes cis, je vous demande juste ceci : arrêtez de chercher à comprendre avec vos catégories habituelles. Écoutez, regardez, ressentez. Et laissez la liberté d’être être.
Vous ne devez pas tout saisir pour respecter. Parfois, le simple fait de ne pas nuire est déjà un acte d’amour.
À toutes celles et ceux qui vivent cette quête d’identité, je dis :
« Vous êtes légitimes. Vous êtes dignes. Vous êtes en vie. »
Ce film n’est pas une fin, c’est un début. Une invitation à plus d’humanité. À plus de courage. À plus d’amour.
Dernier mot
Avant de se quitter, je voudrais partager une dernière scène du film. Une scène qui m’a remuée.
Dans sa nouvelle vie à Paris, Emma est enfin elle-même. Elle chante, elle joue de la guitare, elle trouve sa place dans un groupe de musique. Mais un jour, une vidéo de leur concert est publiée sur les réseaux sociaux… et c’est là que tout bascule.
Des anciens camarades tombent dessus. Ils exhument de vieilles photos d’elle, du temps où elle avait l’apparence d’un garçon. Et les diffusent. Comme une gifle. Comme un rappel brutal : « On t’a reconnue. On ne t’oublie pas. »
C’est un moment que personne ne devrait avoir à vivre. Une violence intime, froide, qui ne laisse pas de trace visible mais brise à l’intérieur. Une trahison déguisée en “mauvaise blague”.
Et pourtant… elle ne s’effondre pas.
Elle se lève. Elle va voir ses camarades. Elle entre dans la salle de répétition. Ils s’arrêtent de jouer. Ils la regardent. Silence.
Et elle dit simplement :
« Quoi ? Je suis exclue du groupe parce que je suis trans ? »
— « Heu… non, pas du tout. On savait juste pas si t’allais revenir. »
— « Ben fallait demander. »
Voilà. Tout est là.
La peur, la honte, l’élan, la réponse.
Être trans, ce n’est pas s’excuser d’exister. C’est reprendre sa voix. Sa voix au sens propre, au sens figuré. Et chanter. Encore. Même si ça tremble un peu au début.
C’est le dernier message que je vous laisse, lecteurs : parfois, il suffit juste… de demander.
— Enola 😘