Enola au boulot – Chapitre Team Building
Mon métier, c’est un peu comme le tricot : il faut du fil (réseau), des aiguilles (outils), et surtout… une bonne dose de patience pour assembler tout ça avec des humains. Des clients, des collègues, des étudiants… autant dire que je vois passer du monde. Mais depuis 2020, date à laquelle un petit virus globe-trotteur a décidé de jouer à cache-cache planétaire, le monde a bien changé. Confinements, télétravail, distanciation, gel hydroalcoolique au café du matin… bref, ambiance fin du monde version open space.
Moi, comme beaucoup, j’ai bossé depuis mon salon. Enfin, “bossé” est un doux euphémisme : entre l’installation du télétravail chez les clients pro et la formation de cohortes entières d’étudiants en reconversion, je n’ai jamais été aussi sollicitée. Les visios s’enchaînaient, la webcam ne m’aimait toujours pas, et mon chat est devenu chef de projet malgré lui.
Mais au milieu de cette effervescence numérique, j’ai aussi eu du temps pour moi. Pour penser à ma transition, poser des jalons, ajuster les curseurs. Deux opérations, un accident canin qui m’a laissée avec un souvenir dans le mollet (les Belges appellent ça un “accident de personne”, moi j’appelle ça une bêtise de chien, mais passons), et des tonnes de questions existentielles. Malgré tout, la graine Enola poussait. Lentement, mais sûrement.
Professionnellement, les choses ont évolué aussi. Un de mes clients – une petite administration à taille humaine, pleine de bienveillance – m’a récemment proposé un poste fixe. Le genre de proposition où tu ne demandes même pas combien tu vas gagner : tu dis juste “oui”, parce que tu te sens déjà à ta place. J’ai postulé, été retenue, et je me sens utile, respectée, valorisée. On me remercie. On me fait confiance. Le matin, je me lève contente d’aller bosser. Et ça, crois-moi, c’est un luxe.
Mes collègues sont principalement des femmes. Elles me connaissent depuis longtemps, mes tenues sont 100 % féminines (depuis 20 ans déjà), mais toujours sobres. Pas de paillettes ni de plumes au bureau, juste des jeans, des hauts doux et discrets. Un style simple, parce que je n’ai pas besoin d’une robe de bal pour me sentir femme.
Mais hier, en plein team building, il s’est passé un truc inattendu. Une discussion légère sur les vêtements a dérapé (gentiment) vers la question. Une collègue m’a demandé si j’avais un prénom féminin. Une autre a demandé si elle pouvait m’appeler par ce prénom. Enola.
Je t’avoue que je ne m’y attendais pas. J’avais prévu d’en parler… plus tard. Après le début de ma THS, après avoir un peu avancé, après avoir moins de doutes dans le miroir. Mais mes collègues, elles, elles ont devancé mes peurs. Elles ont posé la question avec une douceur infinie, et m’ont offert un des plus beaux cadeaux : la reconnaissance. Sans jugement. Juste… de l’humanité.
Je me suis sentie soulagée. Pas de coming out théâtral. Pas de grands discours. Juste des regards sincères et une question toute simple : « Comment veux-tu qu’on t’appelle ? » Et tu sais quoi ? C’est un team building qui a parfaitement porté son nom. Une équipe qui construit quelque chose. Ensemble.
Et même si mon dead name traînera encore un moment dans les papiers, chez les banques et l’administration (coucou les doubles notifications “Monsieur / Madame”), moi, je commence à exister autrement. Par mon vrai prénom. Celui qui résonne : Enola.
Je ne fais pas une croix sur mon passé. Il fait partie de moi. Mais je laisse enfin la place à mon présent. À celle que je suis. Et que les autres commencent à voir.
Alors oui, je suis en chantier. Oui, les hormones commencent à peine. Oui, il faudra du temps. Mais je sens en moi une force nouvelle. Une confiance inédite. Parce que ce monde, que je croyais trop dur ou trop aveugle, commence à m’accueillir. Doucement. Mais sincèrement.
Et si je pouvais glisser un message à celles et ceux qui doutent : vous n’êtes pas seul.e.s. Parfois, les choses changent, non pas parce qu’on les force, mais parce qu’on s’autorise à être vrai.e. Et que les autres… vous voient.
« Je suis une fille. Je le sais. Pourquoi personne ne le voit ? » — GIRL
Dans mon cas, certaines commencent à le voir. D’autres le savaient déjà. Et moi, aujourd’hui, je le ressens plus fort que jamais : je suis Enola. Simple. Naturelle. Et fière.
— Enola 😘